Effets déclarés et seuils de recevabilité : l’office du juge dans les régimes de compliance

⏱︎ Lecture : ~5 min

En bref

Le texte analyse des prises de position affirmant l’émergence d’un « nouvel office du juge » dans le contexte des régulations technologiques et européennes récentes.
Pour en tester la soutenabilité, il explicite les conditions nécessaires à la reconnaissance d’un effet régulateur : critères de recevabilité, rattachements normatifs, enchaînements temporels et causaux.
Il propose un cadre structuré autour de trois seuils : reconnaissance de l’effet, conditions d’apparition, cohérence interne.
Ce cadre permet, dans des systèmes instables, de distinguer les effets effectivement construits des énoncés à portée principalement discursive.

À retenir
  • Un effet déclaré devient établi seulement si ses conditions de recevabilité, ses rattachements normatifs et ses enchaînements structurels sont explicités et démontrés.
  • La soutenabilité d’un effet régulateur dans un système instable tient à trois seuils : recevabilité, conditions d’apparition vérifiables (temporelles, causales, normatives) et structure interne lisible permettant enchaînement logique et modélisation.
  • L’analyse structurelle identifie les effets réellement transformateurs du système, fondés sur une structure démontrable, et les distingue des énoncés produisant surtout des effets secondaires discursifs.

Introduction

Certains discours contemporains à prétention régulatrice affirment l’émergence d’un nouvel « office du juge », en lien avec les transformations induites par les technologies émergentes (intelligence artificielle, quantique, cybersécurité) et les normes européennes récentes (IA Act, Data Act, DORA, RGPD).

Ce type d’énoncé repose sur une posture déclarative à visée régulatrice qui, tout en convoquant des termes à forte portée conceptuelle – droit, office, responsabilité, durabilité – ne précise pas les conditions d’apparition de l’effet qu’il affirme.

Ce texte, qui n’en conteste pas la légitimité, en teste la soutenabilité en proposant une lecture structurelle d’un exemple typique de ce régime discursif.

1. L’effet affirmé : le nouvel office du juge

Le discours observé soutient qu’un nouvel office judiciaire serait en train d’émerger du fait de l’encastrement progressif du droit de la compliance dans les entreprises, et de l’intensification des régulations technologiques à l’échelle européenne.

Selon ce raisonnement, l’obligation de conformité transformerait en profondeur la fonction du juge, en l’orientant vers une logique de durabilité, d’anticipation, de soutien à la solidité du système européen.

La logique narrative mobilisée est identifiable : les nouvelles normes déplaceraient la place du juge, et l’obligeraient à intégrer des enjeux présents et futurs dans une posture structurelle renouvelée.

2. Le point aveugle : l’effet n’est pas démontré

Ce qui frappe dans ce type de discours est l’absence de formalisation de l’effet affirmé.

Le déplacement de l’office du juge n’est ni décrit à partir d’actions repérables, ni adossé à une chaîne de transformation concrète, ni situé dans un cadre normatif vérifiable.

Il est simplement postulé comme horizon nécessaire, et à ce titre, il reste hors d’atteinte de toute validation.

Trois niveaux d’opacité en résultent :

  • Aucune condition de reconnaissance n’est énoncée : à quel moment un effet est-il recevable comme preuve d’un nouvel office ? Par qui ? Selon quels critères ?
  • Aucune articulation normative n’est précisée : quels textes, normes, décisions, ou cas opérationnels permettent de déduire une telle transformation ?
  • Aucun mécanisme temporel ou causal n’est mobilisé : quels sont les enchaînements observables entre l’évolution du droit et le déplacement supposé de l’office ?

Le résultat est un effet affirmé mais non activé, un déplacement supposé mais non repérable, un changement déclaré mais sans démonstration.

Ce décalage entre énoncé et démonstration appelle un examen structurel des conditions de recevabilité d’un effet régulateur.

3. Effet réel, effet déclaré : seuils de soutenabilité

Un effet peut être tenu comme tel lorsqu’il est possible d’en valider l’existence, d’en modéliser les conditions d’apparition, et d’en déduire la logique interne.

En l’absence de ces trois seuils – recevabilité, conditions, structure -, l’effet glisse du champ du droit vers celui de l’énonciation performative.

L’enjeu ne réside pas dans le contenu de l’effet, mais dans le statut qui lui est attribué sans structuration préalable.

La déclaration se substitue à la démonstration. L’autorité du locuteur remplace la traçabilité de l’enchaînement. La norme convoquée n’est plus liée à une transformation de structure, mais à une position discursive.

Ce glissement constitue l’une des modalités dominantes de production du discours régulateur contemporain.

4. Pourquoi cela importe

Dans un écosystème juridique en tension, la solidité d’un effet déclaré dépend de sa capacité à résister à l’analyse structurelle.

Plus un système est instable (normatif, technologique, institutionnel), plus les effets qu’il produit doivent pouvoir être soutenus par une combinatoire lisible, structurée, recevable.

L’effet réel, qu’il soit juridique, organisationnel, ou structurel, ne dépend ni de sa désirabilité, ni de sa narrativité, mais de sa combinatoire lisible et soutenable.

Ce qui est affirmé sans seuil de recevabilité peut être repris, contesté, ou annulé. Ce qui est construit sur des effets non démontrés ne produit que des effets secondaires discursifs.

Conclusion

La transformation du rôle du juge dans les régimes de compliance technologique est un sujet légitime.

Mais pour qu’un effet affirmé puisse être tenu comme réel, il faut plus que l’invocation de sa nécessité : il faut en structurer la validité, en expliciter les conditions, en tracer la combinatoire.

Cette exigence ouvre une autre manière de penser les effets : non plus à partir de ce qu’ils promettent ou invoquent, mais à partir de ce qui les rend soutenables dans un système instable.

Elle permet de distinguer ce qui produit réellement un effet régulateur de ce qui ne produit qu’un effet discursif, sans s’y opposer, mais en les rendant lisibles.

Comment citer
Format : FR | APA | BibTeX | BibLaTeX | RIS
Voir BibTeX (@article)
@article{metalexis2025complianceofficedujuge,
  title = {Effets d{{\'e}}clar{{\'e}}s et seuils de recevabilit{{\'e}} : l’office du juge dans les r{{\'e}}gimes de compliance},
  author = {{MetaLexis}},
  year = {2025},
  month = sep,
  journal = {Analyses Fonctionnelles},
  url = {https://metalexis.org/analyses-fonctionnelles/compliance-office-du-juge/},
  note = {Disponible sur metalexis.org}
}
Voir BibLaTeX (@online)
@online{metalexis2025complianceofficedujuge,
  author   = {{MetaLexis}},
  title    = {Effets d{{\'e}}clar{{\'e}}s et seuils de recevabilit{{\'e}} : l’office du juge dans les r{{\'e}}gimes de compliance},
  date     = {2025-09-30},
  url      = {https://metalexis.org/analyses-fonctionnelles/compliance-office-du-juge/},
  urldate  = {2025-10-01},
  langid   = {french},
  keywords = {compliance, office du juge, r{{\'e}}gulation},
  note     = {Disponible sur metalexis.org}
}
Voir RIS
TY  - ELEC
TI  - Effets déclarés et seuils de recevabilité : l’office du juge dans les régimes de compliance
AU  - MetaLexis
PY  - 2025
DA  - 2025-09-30
UR  - https://metalexis.org/analyses-fonctionnelles/compliance-office-du-juge/
KW  - compliance
KW  - office du juge
KW  - régulation
LA  - fr
PB  - MetaLexis
ER  - 

Flux RSS